Les (biens) communs

Pour aller plus loin…

Elinor Ostrom

Elinor Ostrom, née le 7 août 1933 à Los Angeles (Californie) et morte le 12 juin 2012 à Bloomington (Indiana), est une politologue et économiste américaine. En octobre 2009, elle est la première femme à recevoir le prix dit Nobel d’économie, avec Oliver Williamson, « pour son analyse de la gouvernance économique, et en particulier, des biens communs ».

Ses travaux portent principalement sur la théorie de l’action collective et la gestion des biens communs ainsi que des biens publics, aussi bien matériels qu’immatériels. Ils s’inscrivent dans le cadre de la nouvelle économie institutionnelle.

Elinor Ostrom a surtout travaillé sur la notion de dilemme social, c’est-à-dire les cas où la quête de l’intérêt personnel conduit à un résultat plus mauvais pour tous que celui résultant d’un autre type de comportement. Elle a étudié la question du dilemme social dans le domaine des ressources communes : ressources hydrauliques, forêts, pêcheries, etc.

Avant ses travaux, dans ces cas, seulement deux solutions étaient envisagées : l’État-Léviathan, qui impose le bien public, ou alors une définition stricte des droits de propriété individuelle.

L’œuvre d’Ostrom tend à montrer qu’il existe un autre type de solutions, l’autogouvernement, dont elle définit les huit principes caractéristiques nécessaires à sa pérennité, ainsi que les deux éléments clés de son émergence : la réciprocité et la confiance.

Wikipedia CCbySA

Les communs de la connaissance par Valérie Peugeot

Les communs de la connaissance, avant d’être une réalité socialement mobilisable, reposent sur une double conviction. La première relève de l’épistémologie : le savoir humain grandit par accumulation, par sédimentation, de façon incrémentale et il n’est de connaissance qui ne soit nourrie des découvertes et idées des générations précédentes – nous sommes des nains juchés sur le épaules de géants nous disait Bertrand de Chartres, désignant ainsi le besoin de s’appuyer sur les savoirs des grands penseurs –. Une telle affirmation peut apparaître comme un truisme, mais elle mérite d’être réaffirmée à l’heure où le dogme selon lequel la science et l’innovation ne peuvent progresser qu’en vase clos, protégées par force brevets et droits d’auteur ne cesse de se renforcer. La seconde conviction, là encore faussement consensuelle, est celle de la nécessité civilisationnelle d’une montée globale en connaissances de nos sociétés. La complexité des questions auxquelles ces dernières sont confrontées– de la transition écologique aux violences terroristes disséminées en passant par l’épuisement démocratique –, leur scénarisation mondiale, la nécessité d’inventer des réponses qui doivent se jouer à toutes les échelles de la possible intervention humaine, impliquent un saut quantique dans nos savoirs. Nous avons besoins de toutes les connaissances, des plus scientifiques et pointues aux plus profanes et informelles, pour inventer les savoirs vivres ensemble de demain. Les communs de la connaissance peuvent à ce titre jouer un triple rôle : ils facilitent le partage et la circulation des savoirs, ils encouragent la création de nouvelles communautés épistémiques et ils obligent à une inventivité démocratique.
Revenons d’abord sur le concept de communs et plus spécifiquement sur celui de communs de la connaissance. Les communs ou biens communs renvoient à des pratiques ancestrales, celles de communautés paysannes qui s’auto organisent pour jouir en commun de droits d’usage sur une pâture, un four à pain, une forêt, sur des terres dont ils n’ont généralement pas la nu propriété, celle-ci revenant historiquement aux seigneurs, plus récemment aux municipalités. Le commun repose ainsi sur trois fondamentaux : une ressource partagée, qui échappe aux logiques d’exclusivités de la propriété publique ou privée stricto sensu; une communauté de pratiques et d’usages; une gouvernementalité construite par la communauté pour choisir des règles qui permettent à la ressource d’être protégée et de fructifier. En l’espèce, le droit de faire paître ses bêtes, de glaner, de couper du bois ou d’accéder au four à pain.
Ces pratiques ont progressivement disparu dans les pays occidentaux, sous les doubles coups de boutoirs de l’industrialisation et de la pensée libérale. Les propriétaires terriens ont voulu reprendre le contrôle exclusif sur les terres jusqu’ici en communs pour intensifier l’élevage ovin et les paysans pauvres, chassés des communs, ont dû migrer vers les villes où s’établissait les manufactures [Polanyi, 1944]. La pensée économique et politique libérale a peu à peu imposé la conviction selon laquelle seuls le marché et la propriété privée peuvent permettre une allocation optimum des ressources. Si dans les pays du Sud, les communs restent très présents, notamment en Afrique ou une majeure partie des terres sont régulées par des droits coutumiers, ou en Asie où les systèmes d’irrigation des rizières sont gérés selon ce modèle, ils n’en demeure que des réminiscences en Europe, à l’image des sectionaux ou biens de section en France, encore relativement actifs dans le massif central notamment.

Le faisceau de droits

L’un des grands intérêts des travaux d’Elinor Ostrom est d’avoir mis en exergue l’existence dans nos économies contemporaines de régimes spécifiques de propriété commune à la base d’organisation autogouvernée ne relevant ni du marché ni de l’Etat et que ces régimes, loin de conduire à des situations d’inefficiences, pouvaient s’avérer plus performants que la propriété privée et le marché.
Elinor Ostrom pointe le fait que dans l’essentiel de la littérature économique la propriété privée est définie comme étant équivalente au droit d’aliénation. De là que tout système de propriété ne contenant pas ce droit est considéré comme mal défini et générateur d’inefficience.

Elle démontre également que l’absence de droit d’aliénation ne signifie pas forcément une mauvaise définition du régime de propriété et ne conduit pas forcément à de l’inefficience. Pour comprendre cela il est beaucoup plus juste et utile de concevoir la propriété comme un ensemble de faisceaux de droits de propriété, permettant eux-mêmes de définir plusieurs types de détenteurs de droits de propriété.
our étudier le type de propriété associé à un pool-commun de ressources particulier, propose une définition de la propriété décomposée en cinq droits en rapport avec les CPR : le doit d’accès, le droit de prélèvement, le management, l’exclusion et l’aliénation.

Ces cinq droits sont répartis entre deux niveaux hiérarchiques :
– Un niveau inférieur qualifié d’opérationnel – « operational level property rights » – où se situent les droits d’accès au CPR et le droit de prélèvement des unités de la ressource (des poissons dans une pêcherie, du bois dans une forêt, etc.)
– Un niveau supérieur dit de choix collectif (« collective-choice rights ») où se définissent les règles qui seront appliquées au niveau opérationnel. A ce niveau se situe trois types de droits : le management, l’exclusion et l’aliénation.
Le management est le droit à réguler les conditions d’utilisation de la ressource ainsi que les changements nécessaires à son amélioration. Il s’agit ici plus spécifiquement du droit à déterminer les règles de prélèvement de la ressource. C’est ici que se définit la «gouvernance ». L’exclusion concerne le droit de déterminer qui va bénéficier du droit d’accès et comment ce droit lui-même à l’accès peut (ou non) être transféré.
Enfin, le droit d’aliénation est défini comme étant le droit de vendre ou de céder entièrement ou partiellement l’un ou les deux droits d’exclusion et de management.

Sur la base de cette décomposition de la propriété en cinq faisceaux de droits indépendants,
quatre types de détendeurs de droits de propriété sont caractérisés ; cette catégorisation
s’appliquant aussi bien à un individu qu’à une collectivité (ou communauté).
La première catégorie est celle des autorized users qui détiennent uniquement un droit d’accès et de prélèvement. Les claimants, détiennent les mêmes droits que les autorized users mais détiennent en plus un droit relevant du niveau supérieur, le droit de management. La troisième catégorie est celle des proprietors qui possèdent les mêmes droits que les claimants avec le droit d’exclusion en plus, mais ne possèdent pas le droit d’aliénation. Seule la catégorie des owners possèdent ce droit d’aliénation.
Cette typologie a d’abord comme avantage de rendre compte de la complexité du monde des doits de propriété, d’ouvrir en quelque sorte la « boite noire » de la classification classique propriété d’Etat, propriété privée, propriété commune.
Elle permet surtout d’identifier des régimes de propriété composés de droits clairement définis sans que cela implique qu’ils intègrent le droit d’aliénation. Pour Ostrom ce qui importe dans l’identification d’un régime de propriété c’est la possession ou non des droits d’exclusion et de management.
De là, deux types de régimes de propriété peuvent exister : les régimes de type proprietorship lorsque les propriétaires détiennent l’ensemble des droits à l’exception du droit d’aliénation et ceux de type ownership dans le cas contraire.

Par Fabienne Orsi

Un Commun c’est une ressource, une communauté et un ensemble de règles communes pour une gouvernance coopérative.
Le concept de « faisceau de droits » permet de « séparer » la propriété de l’usage et de sortir ainsi de la la notion de propriété exclusive (où le propriétaire a tous les droits).


Il s’agit notamment de séparer le droit d’aliénation (droit de cession et droit de destruction qui sont l’arme absolue du « propriétaire exclusif ») des autres droits.
Les règles d’accès, d’usage et si nécessaire d’exclusion, sont ainsi débattues coopérativement au sein de la communauté sur la base du consensus/consentement.


Ces règles n’ont pas vocation à être « gravées dans le marbre », elles peuvent être amendées au fur et à mesure que les usages évoluent (Elinor parle de « droit souple »), contrairement à la Loi qui a toujours un temps de retard sur les usages.

On pourrait dire des communs qu’ils proposent une autre définition de la propriété qui rompt avec la notion d’exclusivité héritée du droit bourgeois

On pourrait dire aussi que les communs constituent une troisième voie entre un Marché capitaliste tout puissant et un État qui l’est de moins en moins, incapables désormais l’un comme l’autre d’enrayer les menaces mortelles qui pèsent sur l’avenir de la Planète, notre bien commun.

On pourrait dire enfin que les communs sont une formidable opportunité pour nous toutes et tous, habitants et citoyens du Monde, inventer une gouvernance de reprendre l’initiative pour sauver ce qui peut encore l’être.

Les "8 commandements" d'Elinor

En temps que « communeur-e :

 

  • 1/ je comprends quelles sont les ressources communes dont je dois m’occuper et avec qui je partage la responsabilité d’en prendre soin,

  • 2/ je suis conscient-e qu’il existe un rapport entre ma contribution à la préservation de cette ressource et l’usage que peux en avoir,

  • 3/ je respecte et participe à la définition ou aux modifications des règles en engagements qui nous permettent de créer, maintenir et préserver les communs qui répondent à nos besoins,

  • 4/ nous veillons collectivement au respect de ces engagements et nous mandatons si nécessaire, des personnes de confiance, pour nous aider à atteindre cet objectif,

  • 5/ nous élaborons des règles et nous définissons collectivement des sanctions qui pourraient s’appliquer aux personnes qui ne les respectent pas,

  • 6/ mais je sais qu’en cas de sanction me concernant, j’aurai facilement accès à une instance neutre de résolution des conflits,

  • 7/ nous régissons collectivement et démocratiquement le fonctionnement de cette ressource commune avec l’assentiment des autorités de notre pays,

  • 8/ nous sommes conscient-es que chaque commun fait partie d’un ensemble plus vaste, nécessitant de coopérer entre eux pour coordonner leurs finalités.